« Je mappelle Simon, j’aime le bleu, le blanc, la vie, la poésie, Marseille et les années 80! ».
C’est de cette façon que Simon Porte, 28 ans, adoubé par Rihanna et Selena Gomez (entre autres), se définit sur son compte Instagram. Un créateur d’aujourd’hui.
Notre entretien débute à peine et déjà je ne peux m’empêcher d’évoquer une chose précise…
Simon Porte Jacquemus : Ah oui laquelle ?
Ce fameux sourire!
Quelqu’un vous a paraît-il dit un jour que cétait la plus belle arme dans la vie…
Oui, ma mère. Pour elle, c’était la plus belle défense. Ce qu’elle ma dit est resté gravé en moi et je n’ai eu de cesse de le revendiquer, de le pratiquer même ! Le sourire est une force.
Le succès international de Jacquemus serait donc lié au sourire de son créateur ?
Cette bonne énergie m’a aidé à convaincre, en tout cas. Et elle m’a plutôt servi que nuit.
Complétez la phrase : « Je mappelle Simon, j’aime le bleu et le blanc, les rayures, le soleil… Et ?
La poésie, Marseille et les années 80 ! » C’ est la phrase de présentation de mon profil Instagram
J’ai grandi avec les réseaux sociaux. À 12 ans, je postais déjà des photos de ma vie, c’était et cela reste spontané.
Vous avez oublié les fruits, les ronds, la vie à votre portrait.
Ah oui, pardon ! C’est un court portrait un peu naïf qui me représente assez. Je n’avais pas envie d’écrire créateur, designer, entrepreneur. Je suis tout ça évidemment, mais c’est plus joli avec cette définition enfantine.
Une définition naïve peut-être, mais qui dit beaucoup de vous. Écrire « j’aime la vie » alors que votre mère est décédée quand vous aviez 18 ans, ce n’est pas anodin.
C’est vrai. La vie, la mort La poésie compte aussi beaucoup pour moi. Mon père en écrit, et c’est le mot que je préfère pour parler de ma mode. Il y a toujours beaucoup de poésie dans mes vêtements, dans les noms de mes collections. Une chemise blanche froissée, comme après une journée de plage, c’est de la poésie pour moi.
Vous avez dit un jour que vous n’en seriez pas là aujourd’hui sans le décès de votre mère…
J’en reste persuadé. Je n’étais plus le même, sa mort brutale ma donné une force, une rage, une énergie de fou. Et l’envie d’aimer encore plus la vie. Je me suis justement fait la promesse de toujours sourire, de ne pas être triste. J’ai beaucoup extériorisé grâce à mon travail. Et je trouve que je m’en suis pas mal sorti.
Vous pensez qu’elle voit tout ça ?
Je ne sais pas. Mais je sais bien que j’ai un ange gardien, je retombe toujours sur mes pattes. J’ai mené ma petite barque, avec mon esprit du Sud, j’ai 28 ans, j’ai gardé mon indépendance…
Et j’étais dans le Top 10 des défilés les plus vus de la dernière Fashion Week, au côté de grandes maisons comme Balenciaga, Dior, Chanel
Je trouve ça beau.
Quels sont vos souvenirs de vos premiers pas à Paris, débarquant de votre Sud natal ? C’était la galère ?
Pour moi ce n’étaient pas des galères ! J’ai habité dans une cave au début, j’étais vendeur le jour et je préparais ma collection la nuit
Rien n’était facile, j’ai vraiment forcé le destin ; j’ai commencé en faisant des manifs dans la rue avec mes copines qui criaient : « République Jacquemus », mais j’étais tellement heureux. À la moindre parution dans un magazine, j’étais fou de joie. J’avais 19 ans, cétait juste un rêve pour moi.
Qu’est-ce que Jacquemus, aujourdhui ? Un nom, une marque, un concept ?
Ma vie. C’est une marque, bien sûr, mais c’est surtout une histoire. La mienne. Une manière pour moi de me raconter via la mode. Jacquemus était le nom de ma mère.
Je l’ai dailleurs fait ajouter sur ma carte d’identité.
Quand on vous traite de businessman, cela vous agace ?
Au contraire, ça me va. C’est un mot qui ne dérange pas notre génération. Je n’ai pas l’impression d’être moins artiste parce que je suis businessman. Moi je raconte mes histoires et je les vends, voilà. Je vends de la poésie, mais avant tout des vêtements. Et si je ne fais pas de chiffre d’affaires, je mets la clef sous la porte. Je me suis rendu compte que sur des gros sites comme Net-A-Porter, les gens n’achètent pas forcément une marque mais surtout un produit. Il faut donc être pertinent de ce côté-là. Je n’ai pas envie dêtre dans ma bulle, tout seul avec mes dessins, je veux tout connaître, des prix aux livraisons en passant par ce qui se passe sur mon site.
Il y a régulièrement des rumeurs qui disent que vous allez rejoindre une grande maison
Oui, tous les deux mois à peu près ! Dès qu’’il y a un poste à pourvoir quelque part, la rumeur court. Mais je refuse toujours. Je le dis et le redis : la grande maison, je l’ai déjà, elle s’appelle Jacquemus. Cela prouve qu’un jeune créateur peut rester indépendant.
Quel genre de patron êtes-vous ?
Je suis très exigeant. Mais je passe trop de temps avec mon équipe pour que ce soit dans une mauvaise ambiance. Cela respire le bonheur dans mon immeuble, on déjeune tous ensemble à midi sur le canal Saint-Martin,les gens chantent, rigolent La mode est un job de passion, ils travaillent tous énormément. Alors si, en plus, je me mets à gueuler au bureau ! Ce n’est pas ma philosophie. J’ai été éduqué dans le respect des autres.
Comment définir la femme Jacquemus, en seulement 140 ou 280 caractères Twitter?
(Rires) Je dis toujours que cest quelqu’un de très libre et de poétique. Cela dépend des collections, évidemment, mais la plupart du temps, la femme Jacquemus est méditerranéenne, solaire. Ce qui est sûr, cest qu’elle a beaucoup évolué depuis les débuts de la marque, j’ai grandi avec elle, et vice versa. J’ai commencé avec quelque chose de très naïf, ça l’est beaucoup moins aujourd’hui. Ma mode est assez saine. Je le revendique, et j’espère que c’est accolé à ma marque.
Et le tout nouveau tout beau homme Jacquemus, il est comment ?
C’est ma toute première collection homme et même si j’ai davantage de moyens aujourd’hui, elle me fait penser à ma première collection femme de mes débuts. Disons que c’est son petit frère ! Avec ses erreurs de goûts, ses maladresses, son côté sport.
Il met un costume, mais on ne sait pas trop s’il sait vraiment bien le porter (rires).
Il est en tout cas très sain lui aussi, et méditerranéen.
Il a l’air aussi plutôt musclé et viril. Tout comme la femme Jacquemus est aujourd’hui hypra féminine. Il ny a pas de confusion des genres chez Simon Porte ?
Je savais bien que vous me poseriez cette question. Ce sont des codes et des clichés avec lesquels j’aime mamuser. Et plein de gens peuvent s’y retrouver. Mais que voulez-vous dire exactement par confusion des genres ?
De la masculinité chez une femme ou de la féminité chez un homme. L’androgynie est par exemple très présente dans la mode.
Je pense que la confusion des genres utilisée partout devient trop mode et presque ridicule, justement. Certains de mes amis ne se reconnaissent pas dans tous ces codes de la New York Fashion Week, ceux d’un homme qui ne connaît pas vraiment son identité et porte des talons hauts et des perruques. Cela va parfois beaucoup trop loin, c’est un peu du déguisement. Mon homme a soi-disant des codes virils et ma femme des codes féminins, mais je suis au-delà de ce débat. C’est comme quand on me demande combien de filles de couleur défilent pour moi. Cela me gêne vraiment. Je ne fonctionne pas du tout de cette façon, je suis beaucoup plus dans la spontanéité, je n’essaye pas de coller à un moment. L’identité, quelle qu’elle soit, est bien plus complexe que ça. Certains artistes ont récemment assumé des partis pris sur ce sujet, de manière sincère, certes, mais ce n’est pas absolument pas mon histoire. Moi j’ai fait de la mode pour femme pour continuer à parler de ma mère et une collection homme lorsque je suis tombé amoureux. Voilà, cest aussi simple que ça.
Vous avez beaucoup parlé de vos inspirations féminines, comme L’Isabelle Adjani de L’Été meurtrier ou la Charlotte Gainsbourg de L’Effrontée. Quels sont les hommes qui vous ont inspiré ?
Je n’ai pas vraiment de modèles célèbres. Il y a beaucoup d’hommes très différents dans ma collection, qui s’appellent Gadjo pour tous les »gadjos » du Sud : le mec qui sort du sport, de la natation, celui qui vient d’Arles, très provençal, le Gitan qui a mis son petit costume et sa chemise en soie, la racaille
Ce sont tous des hommes que j’ai moi-même été ou que j’ai côtoyés.
Pas de posters d’acteurs ou de chanteurs dans votre chambre d’ado ?
Non, elle était toute jaune avec des soleils partout. C’était mon obsession !
Votre mère a été un modèle pour vos collections femme. Et votre père ?
Mon père a mille projets, il est plein d’idées, c’est toujours un enfant. C’est assez beau. Je suis fan de lui et je l’aime plus que tout, mais cela n’aurait pas de sens de lui dédier une collection. Ça en avait un avec ma mère.
Vous avez tenu à faire le défilé de cette collection homme à Marseille. Pour dire qu’il n’y a pas que Paris dans la vie ?
Le Sud, c’est chez moi, alors c’était logique. Je l’évoque constamment, dans mes propos, mes créations. Mais en effet, cela envoie aussi un message. J’ai par exemple toujours refusé qu’on m’étiquette créateur parisien. Créateur français, d’accord. Ce n’est pas un snobisme anti-Parisien, c’est juste que ça ne me représente pas, c’est tout.
Paris est toujours aussi gris à vos yeux ?
Surtout ces derniers temps. C’était novembre en juin ! Et cela joue sur mon moral. Heureusement, je descends souvent à Marseille. Mais contrairement à ce qui se dit, je ne passe pas mon temps torse nu au bord d’une piscine, même si je cultive un peu cette image de mec des plages. Je travaille. Dans un portrait, un journaliste m’a d’écrit comme « le créateur le plus souvent en vacances ». Ça m’a fait rire.
On peut se moquer de la mode ?
Bien sûr ! Il le faut. Ça fait du bien. Les portraits de moi un peu moqueurs ne mont jamais gêné. J’aime rigoler, j’adore les
humoristes, par exemple. Pour tout vous dire, je m’endors souvent le soir en regardant Florence Foresti. Elle m’a fait rire toute ma jeunesse. Je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça (rires) !
Vous avez, paraît-il, un carnet d’enfance dans lequel vous notiez toutes les professions que vous vouliez exercer plus tard
Je l’ai toujours. La liste est assez longue : chanteur, avocat, acteur, danseur
J’écrivais chaque année la même chose et, en 2001, à 11 ans, j’ai noté : « Finalement, je sais vraiment ce que je veux faire, je veux être styliste » ! Mais cette envie de gosse pour tous ces métiers ne me surprend pas. Aujourd’hui encore, il y en a qui me viennent.
En France, les mentalités ont changé, on peut faire plein de choses différentes. Je vis mon rêve, mais si demain tout s’arrête, cela ne m’inquiétera pas plus que ça. Je serai sûrement triste, mais, c’est bizarre à dire, je crois que tout est possible. On peut faire d’autres jobs ! Je travaille d’ailleurs déjà sur des projets.
Des projets cinéma ?
Voilà, plutôt dans le cinéma.Mais je n’en dis pas plus. Ce sera pour la prochaine interview !
Propos recueillis par Olivier Boucreux / www.jacquemus.com