On ne donnait pas cher de la pop culture à la fin des années 1960. Mièvre pour les uns, superficielle pour les autres, cette expression paraissait plus datée que le rock. Mais elle a résisté à l’air du temps, et aujourd’hui, ce mot semble circuler sur toutes les lèvres, rassembleur, rassurant et surtout… moderne.
Personne ne sait très bien finalement ce qu’est la pop culture. Elle est partout et nulle part. Certains l’ont conspuée, la traitant de
médiocre, d’autres s’en drapent pour avoir l’air chic, les troisièmes ne lui témoignent qu’indifférence même s’ils en sont imprégnés. Quand le terme de pop culture apparaît dans les années 1960, il séduit tout de suite car il a une connotation plus douce que le mot rock. Plus consensuel, beatlesien, il est acceptable par tous et compréhensible. La vague a ses héros, Holden Caulfield, le vagabond buissonnier de L’Attrape-cœurs de Salinger, Dean Moriarty, le baroudeur de Sur la Route de Kerouac. Ces personnages à contre-courant, éloignés du fort en thème, venus de la rue et de l’expérience, arpentent le monde d’un pas souple rythmé sur des chorus de Charlie Parker. Ils envoient valser leurs livres de classe, mais ne tournent pas le dos à la culture. La jeunesse aime leur liberté, s’identifie à eux, pensant rompre avec l’éducation de ses parents. La littérature de Jack Kerouac, les tableaux d’Andy Warhol, la musique des Beatles, l’art psychédélique, les mini-jupes de Mary Quant, forment désormais le monde moderne, sans oublier sa face très sombre, la drogue et ses sinistres exégètes qui veulent en faire un mode de vie séduisant… Depuis heureusement, le solaire l’a emporté.
D’où vient la pop culture ?
Elle a existé avant même qu’on invente l’expression. Il faut remonter au XIX ème siècle. Le terme usité était alors “pulp fiction”, que Tarantino a remis au goût du jour il y a quelques années. Il désignait, aux États-Unis, ces magazines bon marché et à large diffusion apparus pendant la révolution industrielle. La “pulp”, ce résidu de fibre de bois, composait le papier médiocre sur lequel étaient imprimées ces publications afin de baisser les coûts d’impression.
The Argosy, mensuel lancé en 1896, a été l’un des pionniers du genre aux États-Unis. Il popularisa les aventures de Tarzan et de Zorro. D’autres périodiques (Black Mask, Detective Story), suivirent… De la “pulp” à la “pop”, il n’y avait qu’un pas, deux ou trois lettres à changer… et une géographie à inventer, urbaine, libre. La pop allait faire entrer dans le tableau les bruits de la rue, les objets et les éléments quotidiens : Andy Warhol transformant la boîte de soupe Campbell en œuvre d’art ou, plus récemment, la plasticienne Sophie Calle intégrant des SMS dans l’une de ses créations. Si l’on devait citer quelque cinéaste typique du genre,
nous mentionnerions Barbet Schroeder ou Jim Jarmusch…
Beaucoup pensaient que l’idée de pop culture, très datée et jetable, emprisonnée dans ses excès et ses parodies, finirait par disparaître.
Mais il n’en est rien, car elle s’est répandue partout, détournant les codes du monde contemporain, de la publicité aux panneaux de signalisation. Elle est redevenue très utile quand vous créez – défi insensé – une émission à vocation culturelle. Elle permet d’éviter deux mots redoutables, l’intimidant
“culture” et le honteux, voire ringard “populaire”.
La pop culture est censée réconcilier les milieux sociaux, abattre les préventions, loin des académies et des élites dont les Français se méfient toujours. C’est pourquoi Antoine de Caunes a appelé son émission quotidienne sur France Inter à 16 heures Popopop, qui l’autorise à toutes les libertés. Il y met séries télévisées, polars, blockbusters, « tout ce qui fabrique de l’adhésion, du collectif », selon sa formule. Il l’a voulue « pétillante, pétulante ». Cette profession lui a valu une critique du Parisien au mois d’août. De Caunes, très attendu, y était jugé « trop sage ». Nous voyons le revers de cette pop culture, bruyante, mouvante, colorée. Il faut être à la hauteur, électrique, sans doute comme l’était le même animateur lorsqu’il animait en parlant à toute allure son émission musicale Rapido en ouverture des Enfants du rock jadis sur Antenne 2. C’est peut-être cela aussi la nouvelle pop culture, parler calmement de polar et de rock dans de confortables fauteuils en s’adressant à un public plus large que celui du Collège de France.
La grande station populaire Europe 1 a pensé la même chose grâce à son directeur des programmes Frédéric Schlesinger, un ancien de France Inter, qui a souhaité ouvrir son antenne matinale aux arts, livres, musiques, cinéma. Le défi était important. Remplacer Le Grand Direct des médias par un programme culturel s’annonçait risqué. Là aussi, on se garde bien d’employer le mot culture. Le nom pop demeure encore le chemin le plus rassurant.
Mais on y a ajouté un autre pour former l’expression “melting pop”, habile métissage très dans l’air du temps. Chaque jour, entre 9 et
9h30, Patrick Cohen et son équipe parlent de jazz, de littérature, d’expos, invitent l’actrice iranienne Golshifteh Farahani ou la jazzwoman Stacey Kent, rendent hommage à Debussy, dont nous célébrerons en mars 2018 le centième anniversaire de la disparition, dans un concept vivifiant pour une radio comme Europe 1 habituée à chercher le grand public.
C’est brillant, léger, séduisant, malheureusement, la précaution oratoire du titre pourrait se révéler insuffisante, car l’audience n’est pas vraiment au rendez-vous, et cette demi-heure de plaisir pourrait déjà être menacée. Qu’elle meure ici, la pop renaît ailleurs, incarnée ces temps-ci par un visage bien connu, le chanteur Étienne Daho. Il “l’aime pop !”, comme l’annonce avec un point d’exclamation l’exposition de photos que lui consacre la Cité de la Musique jusqu’en avril prochain. « Empereur de la pop », « La pop sans limites », ont titré les journaux pour saluer la sortie de son dernier album. Daho y voyait un terrain de liberté et d’invention sans sectarisme. Sans doute sa sensation a-t-elle fini par l’emporter. Il semble donc loin le temps où la pop était jugée mièvre, ringarde, propre aux gentils (niais) Beatles contre les méchants (insolents) Rolling Stones. Elle est, comme l’a définie en 1957, Richard Hamilton, père du pop’Art, « populaire, provisoire, jetable, bon marché, produite en série, jeune, drôle, sexy, astucieuse, spectaculaire et très rentable ». De quoi trouver son bonheur
S.K
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ALORS on peut lire :
Pop Corner
De Superman à Pokémon Go :
la grande histoire de la pop culture
de Hubert Artus, éd. Le Seuil Points, 288 pages, 7,40 €.
Il n’était pas facile de relater l’épopée de cette mouvante pop culture.
Le critique littéraire Hubert Artus l’a fait dans sa Grande histoire de la pop
culture. L’ouvrage, passionnant, dé- coupé en chapitres courts et clairs, raconte une révolution du XXème siècle qui a rapproché et verni tous les genres (sport, musique, littérature, cinéma…) avec en toile de fond la publicité, le business, les produits dérivés. Si la pop n’a pas apporté forcément que du bon, Artus se
garde de tout jugement violent, préférant se tenir aux côtés des figures positives : le footballeur flambeur George Best, surnommé “le cinquième Beatles”, Andy Warhol, les poètes engagés du Printemps de Prague comme Ivan Jirous, le tennisman Fred Perry dont la chemise en coton à manches courtes qu’il portait sur les courts fut adoptée par les mods britanniques et les musiciens.
« Païen, jeune et ludique », écrit l’auteur à propos du style pop. On n’a pas fini d’en entendre parler !
ET :
Tarantino rétrospective
de Tom Shone, éd. Gründ, 256 pages, 34,95 €.
Cette rétrospective regroupe plus de 200 images tirées des films et tournages du grand réalisateur, dont Pulp Fiction, œuvre culte s’il en est. Un hommage au talent exceptionnel de l’un des cinéastes les plus originaux – et peut-être le plus pop – du cinéma contemporain.