Rudy Ricciotti l’architecture avec un accent de sud

Dessinez -vous la main ou sur écran?

Dans ma tête. En voiture dans le train ou dans l’avion, je gamberge. J’arrive à formuler visuellement des projets sans support graphique, à reconstruire mentalement ce que je veux. Ce n’est pas un cadeau c’est épuisant Le MuCEM, je l’ai imaginé. Il y a bien douze mille document pour le construire. Mais il est pareil à ce que j’avais imaginé.

Avec ce MuCEM, on a parlé de prouesse technique. Vous n’êtes pas seulement architecte, mais également ingénieur, artisan, voire défricheur. Cette superposition des savoir-faire est-elle le lot de tous les architectes ?

R. R Il est difficile de parier de mes confrères Il y en a que j’estime beaucoup. D’autre_s, , du tout Je ne me reconnais , totalement dans le métier, pour dire la vérité. Quand on parle avec des architectes, ils sont
écrasés par les réalité disciplinaires de ce métier, qui est difficile. C’est un métier juridiquement dangereux. De plus en plus, on se retourne vers l’architecte pour obtenir des indemnités lorsqu’il y a des retards ou des difficultés de chantier. Moi, je ne suis , qu’architecte je suis pamphlétaire. Avec un point de vue sur le monde, sur la société, sur l’esthétique.

Le MuCEM est enveloppé d’une dentelle de béton. Vous avez dit  » le béton a une image de mauvais fils Prononcer son nom relève de l’insulte ou de l’outrage à magistrat ». D’où vous vient ce lien avec ce matériau?

R.R. : Ce n’est pas un attachement amoureux, ni érotique, quoique… C’est surtout que ce matériau a une vertu environnementale méconnue. Si son empreinte environnementale est de 1, celle de l’acier est de 80 et celle de l’aluminium, de 220.

Vous dénoncez la délocalisation des emplois et votre amour du béton est aussi celui d’une matière qu’on n’a pas besoin d’importer.

R.R. : Absolument C’est un matériau de proximité, non spéculatif, on le produit sur place. Comme le blé pour le pain ou le raisin pour le vin, il pousse chez nous. On n’a pas besoin de piller les ressources des autres territoires. Ce qui m’intéresse, c’est l’échelle de liaison courte. Utiliser le béton, c’est un choix politique, esthétique et environnemental.

Vous dite construire des bâtiments avec un coefficient de main-d’oeuvre maximal. Qu’est-ce que cela signifie?

R.R. : J’essaie de produire une économie territorialisée et de faire en sorte que ce que nous dessinons défende des emplois. C’est devenu une obsession. Défendre une mémoire du travail territorialisée c’est la manière de revenir à une cohésion sociale. Au XIXème siècle, il fallait cent mots pour décrire une façade, aujourd’hui il en faut trois ou quatre. Si l’on a perdu 96 % des mots, c’est qu’on a perdu 96 % des métiers, de leurs noms et de leur mémoire.

Vous faites-vous plaisir à chaque projet?

R.R : Avant de me faire plaisir, il s’agit de défendre cette idée. Pour le reste, je sais que je retomberai toujours sur mes pattes, comme un chat. En arrivant toujours à faire quelque chose de beau. Je suis d’une vanité sans aucun recul, mais je réussis tout ce que je dessine parce que c’est fait avec conviction, avec foi, avec combativité, av. croyance. Au sens esthétique : l’ombre portée du regard politique. Cette croyance doit nous conduire à transgresser les limites, même réglementaires. J’ai souvent pris des risques sans filet dans mon métier. La maison Navarra par exemple, avec son toit en béton, c’était hors champ normatif.

Que pensez-vous de l’architecture verte, avec des immeuble construits en bois qui récupèrent les eaux de pluie, absorbent le CO2 grâce à des parois végétales, chauffent les foyers avec de l’énergie solaire?

R.R. : Tout cela est sans preuves. On ne peut pas accepter que l’idéologie verte fabrique du pouvoir sur le dos de la morale environnementale. Nous sommes confrontés à un monde d’inexperts. Il m’arrive de mettre de la végétation dans les programmes, mais c’est une lubie de vouloir végétaliser les façades et les toitures-terrasses. Les conséquences sur la consommation d’eau, la denrée bientôt la plus rare sur la terre sont désastreuses. Je refuse la terreur de la fourrure verte, d’en rester à une culture de bistrot en matière d’environnement. Sucer les ingrédients de l’idéologie pour en extraire un maximum de bénéfices.

Vous travaillez assez peu à l’étranger: N’auriez-vous pas envie de mettre davantage votre patte à l’étranger, comme vous l’avez fait avec la passerelle de la Paix à Séoul ?


R.R. :Il y a eu plusieurs projets à l’étranger, à Seattle, à Liège, à Séoul… En ce moment, à Sào Paulo, je trouve le territoire de mes idées. Mais je ne cours pas après. On me sollicite, mais il y a déjà assez à faire en France. Je suis débordé. Je n’ai pas envie de prendre un avion climatisé pour dormir dans un hôtel standardisé et manger sur des chaises en plastique designées. Moi qui suis extrêmement exigeant sur l’origine de ce que je mange – c’est quasi paranoïaque -, en voyage, j’ai l’impression de m’empoisonner. Et si on ne me veut pas ailleurs, ce n’est pas très grave. J’ai d’autres impérialismes que de vouloir construire sur toute la planète.

Qu’est-ce qui vous inspire?

R.R. : Je suis fasciné par des personnages comme D’Annunzio ou Malaparte. Ces héros s’inscrivent dans la mythologie de l’ouverture au monde. Aujourd’hui, la mondialisation nous a servi un état spectaculaire de déchéance esthétique. C’est l’exil de la beauté. Ce spectacle de la laideur, comment y faire face ? je remercie la vie de vivre à Cassis.

Construisez-vous pour laisser une trace?

R.R. : Non. Ma plus grande satisfaction avec ce que j’ai construit, c’est lorsque je vois que c’est devenu populaire. Quand j’ai inauguré le MuCEM, une journaliste des Echos a dit: «Vous étiez un architecte célèbre. Avec le MuCEM, vous êtes devenu populaire. Qu’est-ce que ça change » Je lui ai répondu « Ça augmente mon anxiété naturelle.» Etre populaire ça me bouleverse. Parfois, des gens t’arrêtent veulent une photo, un autographe, comme si t’étais un chanteur de rock Mais ça n’appelle pas à la vanité chez moi, juste aux larmes. Un jour, pas loin du MuCEM, un type vient avec sa femme et son petit dans le bras. Il me dit « Monsieur Ricciotti, vous ne me connaissez mais j’étais l’un des grutiers du MuCEM. je voudrais faire une photo avec mon fils dans vos bras pour qu’il ce souvienne.» j’ai pris le gamin, il m’a pris en photo, j’ai fait des efforts pour ne pas pleurer…

Comment imaginez-vous les années qui viennent ?

R.R. : Je travaillerai tant que ma compagne me laissera le faire. À juste raison, elle m’oblige à rester à la maison le lundi et le vendredi. J’ai une vie exceptionnelle, grâce à ce site, à la nourriture à laquelle j’accède et aux quelques amis avec lesquels je rigole bien, en nous mettant parfois dans des états pas raisonnables. L’ivresse en compagnie d’amis est souvent un moment magnifique. Je ne demande pas grand chose, juste la santé. je ne profite même pas au jour le jour, mais d’heure en heure.

Merci pour votre hospitalité et votre énergie communicative •

Un entretien de G. Brunet et L. Hecht. Une photo de Y. Kim


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