COVID-19 : A-T-IL MODIFIÉ NOTRE VISION DU MONDE ?

Durant l’épidémie de Covid-19, nous avons tous été saisis, à des degrés divers, par un sentiment de sidération, avec la conscience diffuse que nous vivions collectivement un évènement sans précédent.
Pourtant, nous ne découvrons pas aujourd’hui les pandémies ou leurs conséquences. À ce jour, le nouveau coronavirus aura causé à l’échelle mondiale quarante fois moins de décès que la grippe espagnole (1918-1919), quatre fois moins que la grippe asiatique de (1956-1958) et deux fois moins que la grippe de Hong Kong (1968-1970), pandémie qui fit en France autant de ravages que la Covid-19 mais qui n’a pourtant pas marqué notre mémoire collective.
Nous avons déjà eu à faire face à des pathogènes au moins aussi contagieux ou létaux, et la particularité de l’épisode que nous avons traversé est à chercher ailleurs.

L’accélération du «temps épidémique»

Elle tient notamment à l’accélération du «temps épidémique» dans un contexte mondialisé et interconnecté, où les déplacements humains se sont considérablement multipliés. Alors que les pandémies du XXe siècle se sont déployées plus lentement, et que les grandes épidémies du XXIe siècle (H1N1, SRAS, Ebola, etc.) ont été limitées dans leur expansion, la Covid-19 a confronté toute la planète, quasi simultanément, à un danger à la fois imminent et commun. Cet état d’urgence a porté un coup d’arrêt brutal à l’économie mondiale comme aucun événement sanitaire ne l’avait fait auparavant et a mis à l’épreuve nos liens sociaux (familiaux, intimes, professionnels). L’expérience partagée, à l’échelle du monde entier ou presque, de la rupture des routines quotidiennes (confinement, distanciation physique, gestes barrières) a aussi été l’occasion de profondes remises en question, nourrissant les nombreux discours et espoirs investis dans un possible «monde d’après». La singularité du nouveau virus a pris de cours médecins, chercheurs comme responsables politiques, obligeant à réévaluer en permanence et en temps réel la compréhension de ses mécanismes d’action, les protocoles de soin, les modèles épidémiologiques mais aussi les consignes données à la population. Témoins d’incertitudes scientifiques qui ont saturé des mois durant l’espace public et médiatique, les citoyens ont investi massivement le champ du savoir médical en y faisant surgir, parfois, des formes de contre-expertises profanes. Ce qu’il est maintenant convenu d’appeler «l’affaire Raoult» en a été un des traits les plus saillants.

Une autre lecture des pandémies

L’apparition du nouveau virus a rendu prioritaire une réflexion conjointe sur la santé et l’environnement. La recherche, compréhensible et nécessaire, d’une origine à cette pandémie (chauve-souris, pangolin, marché de Wuhan), éclaire un problème plus vaste : parmi les nouvelles maladies, on s’accorde à dire que près des trois-quarts sont des zoonoses, c’est à dire des pathogènes issus d’animaux. Le phénomène n’est certes pas nouveau - tout porte à croire qu’il existe depuis le néolithique - mais s’accélère significativement, avec l’apparition de près de 180 agents pathogènes depuis une cinquantaine d’années (VIH, grippes aviaires, Lyme, Ebola, Chikungunya...). D’après les spécialistes, une des causes structurantes est notre empreinte croissante sur les écosystèmes naturels et les espaces sauvages, multipliant les points de contact entre humains et pathogènes d’origine animale et la possibilité de «sauts d’espèce» : étalement urbain et déforestation en zone intertropicale, changement d’utilisation des terres, agriculture intensive pour répondre à nos nouveaux modèles alimentaires... Autant de facteurs de nouveaux risques pandémiques qu’une lecture strictement médicale du problème de la Covid-19 - prise en charge, traitements, vaccins - ne met pas suffisamment en lumière. La crise de la Covid a également reposé la question de la prévention, bien au-delà des simples et nécessaires gestes prophylactiques. Des chercheurs britanniques pointaient encore récemment du doigt dans le British Medical Journal le rôle déterminant de la malbouffe dans les comorbidités associées à la gravité de la Covid-19 (obésité, hypertension, diabète). Alors qu’augmentent en nombre les maladies de civilisation, il apparaît que nos modes de vies et choix alimentaires nous rendent plus fragiles face aux maladies émergentes, dont de nombreux épidémiologistes nous prédisent la multiplication dans les années à venir. Si nous voulons être prêts à y faire face, il est grand temps d’accorder toute sa place à la prévention des risques et de décloisonner notre vision de la santé.

Par Arnaud LERCH, Sociologue


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